La trouille, les chocottes!

La trouille… les chocottes…les jetons…la frousse… les pétoches…

Ah ! Les délicieuses peurs de notre enfance, les histoires pleines de sorcières, de maléfices de dragons, de monstres, d’épreuves surmontées.

J’ai grandi et un jour,  j’ai eu le droit de regarder la télévision le samedi soir. Il y a eu les premiers « Alfred Hitchcock raconte », qui fichaient bien la trouille et aussi les Sherlock Holmes.  Après avoir vu Le chien des Baskerville , je me revois le dos collé au mur carrelé de la cuisine, les jambes molles, refusant de monter me coucher.

Et puis il y eut encore ce jour, où venue avec mes parents au cinéma voir un film dont je ne me souviens absolument pas, , j’assistai malencontreusement  à la projection d’un extrait du film de la semaine suivante, intitulé : La proie des vampires. Résultat : pendant des années, lorsque je devais aller vider la poubelle sous le hall de l’immeuble, je remontais toujours mon col ou entourait mon cou d’un foulard pour ne pas être mordu par Christopher Lee.

Cette peur-là n’était pas vraiment agréable, contrairement à celle générée par les histoires que me racontaient mes parents avant de m’endormir et qui se terminaient toujours bien. Cette peur nouvelle me mettait aux prises avec des créatures fantastiques contre lesquelles je n’étais pas armée. À l’époque j’ignorais qu’il fallait se munir d’un pieu pour le leur enfoncer dans le cœur et je ne crois pas que mes parents m’auraient autorisée à aller me coucher avec un tel engin ni d’ailleurs à me balader avec un collier de gousses d’ail autour du cou.

Et encore un peu plus tard, je me souviens du malaise ressenti à la lecture du Double assassinat de la rue Morgue et du Mystère de la chambre jaune. Je suis consciente aujourd’hui que cela tenait surtout au style des auteurs qui savaient ménager un « suspense insoutenable », selon la formule consacrée.

J’ai fait pendant un temps, un petit détour par le fantastique avec Lovecraft. De la terreur à l’état pur! Mais c’était un moment particulier de ma vie où je n’allais pas très bien et l’écriture tourmentée et apocalyptique de Lovecraft parvenait à me distraire de mes propres tourments.

À présent, je suis revenue à des peurs raisonnables,  des romans dans lesquels la mort est bien sûr obligatoirement présente mais seulement comme l’ingrédient incontournable de tout polar qui se respecte.

Il m’arrive toujours de lire des romans qui font peur comme dernièrement celui de Pierre Lemaitre, Travail soigné  dont j’ai parlé sur mon compte Instagram et qui fiche bien la trouille aussi, ou ceux d’Adler Olsen comme Miséricorde qui m’a presque donné envie de me cacher sous la couette comme lorsque je me protégeais des fantômes et des vampires.  Connelly n’est pas mal non plus pour vous donner des sueurs froides. LE MAL ABSOLU, voilà ce que décrivent ces auteurs  et souvent avec brio. Et ça glace le sang !

 

Mais pour être tout à fait honnête, mon gout, désormais, me porte davantage vers les livres à suspense sans personnages monstrueux et dégénérés même si je sais qu’il en existe dans la réalité. Je préfère pouvoir tenir ma peur en laisse avec des histoires de héros ordinaires pris dans l’engrenage du mal ou de la malchance comme le personnage de Franck dans le bouquin d’Emmanuel Grand, Sur l’autre rive, que je viens de finir (j’en parle aussi sur Instagram et sur mon compte FB)

En résumé, j’aime bien avoir UN PEU PEUR, mais pas trop.  Shining et Le silence des agneaux, font monter mon adrénaline à des niveaux trop vertigineux pour ma petite personne.

Je passe sans doute à côté de chefs-d’œuvre mais je suis limitée dans ma capacité à encaisser et la terreur que suscitent certains polars est clairement au-delà de mes limites. Pas étonnant que mes propres romans soient plus proches du cosy murder même s’ils n’en suivent pas entièrement les codes. J’aurais trop peur en créant des monstres psychotiques, qu’ils s’échappent de leurs pages pour venir hanter mes nuits.

Et vous ? Que vous procure la lecture de romans policiers ou de romans noirs ? Pourquoi en lisez-vous et quelles sont vos limites ?

L’inspiration

J’avoue !

Oui j’avoue ! Je suis une voleuse, une prédatrice, une espionne, une chasseuse à l’affut. Ma curiosité est sans limite. Mes yeux sont des caméras cachées, mes oreilles des micros de haute précision. J’enregistre, je détaille, j’emmagasine et je thésaurise. Cela fait longtemps que j’ai compris le potentiel romanesque de chaque vie. Pas très original sans doute ! Flaubert n’a-t-il pas écrit Un cœur simple, l’histoire d’une pauvre fille de la campagne sans exaltation et sans passion à la vie terne et monotone.

J’ai besoin de savoir quel chemin de traverse ont emprunté les personnes dont je croise la route.

Alors que j’étais dans la plus profonde affliction,  assise à côté du conducteur du corbillard, je me suis mise à le questionner sur ce qui l’avait amené à exercer cette profession. Je suis sûre que là-haut, maman a bien ri du culot de son incorrigible fille.

Je ne compte plus les fois où même dans des situations impossibles, j’ai quasiment obligé l’infirmière le dépanneur, le serveur, le policier, l’élagueur, le chauffeur de taxi, à me détailler par le menu leur vie, leur œuvre et leurs projets d’avenir. Et ça marche! Ils pourraient se dire que je suis sacrément intrusive mais ils doivent sentir que mon intérêt n’est pas feint. Comme cette fois où après avoir mordu le terre-plein et tordu la roue de ma voiture, je savais tout au bout de quelques minutes, du parcours professionnel de ce dépanneur très étonné de s’être ainsi confié à une parfaite inconnue.

Les gens m’intéressent! Que voulez-vous! Je suis née comme ça. Peut-être est-ce une façon d’apprivoiser le monde.

Je suis également friande d’anecdotes, même si je demande toujours la permission d’utiliser tel souvenir cocasse ou tel récit d’un drame familial que l’on m’aurait raconté. Dans mes romans, il y a quelques personnages et quelques scènes que je dois à des amis qui m’ont autorisée à les utiliser tel ce pépère Léon de mon ami Guy. Un sacré coquin ! (le pépère pas mon ami.) et qui s’est retrouvé dans Sale temps pour les concierges, la deuxième enquête de L. Blum.

Il y a aussi des silhouettes à peine croisées qui vont aussitôt s’imposer et m’inspirer un personnage, tel ce couple de femmes  dansant le tango sur les quais de Seine ou cette femme âgée et son épagneul aux silhouettes parfaitement assorties, ou encore ce barbichu roux coiffé d’une casquette à la Sherlock Holmes qui est devenu le méchant d’un de mes romans.

Plus que l’imagination c’est l’observation qui nourrit mes histoires. Je regarde, je trie, j’accommode et à partir de ces éclats de vie, ma propre mosaïque  va prendre forme petit à petit. Peut-être parfois n’ai-je même pas conscience de la façon dont j’ai créé mon Golem, ce personnage de glaise de la mystique juive, créé pour défendre son créateur et dépourvu de libre arbitre.

Mais les personnages de roman sont-ils après tout vraiment dépourvus de libre arbitre ? J’ai quelques doutes à ce sujet, surtout lorsqu’ils viennent troubler mon sommeil pour me suggérer une suite  à leur histoire.

L’inspiration n’aurait-elle donc pas comme corollaire la possession? Il ne s’agirait pas de magie noire bien entendu mais d’une prise de pouvoir des personnages  qui s’inviteraient dans le cerveau de leur créateur pour s’inventer à leur tour.

L’inspiration est tout compte fait, une bien étrange chose!

La naissance d’un personnage de roman policier.

Les nouveaux héros

 

Ceux et celles qui me font l’honneur de suivre les enquêtes de L. Blum, me disent avoir reconnu en lui l’un des leurs, quelqu’un qui pourrait faire partie de la famille. Blum n’est pas un super héros mais un voisin discret et tranquille, un de ces nouveaux pères qui restent au foyer pour élever les enfants pendant que madame fait carrière à l’extérieur.

« Les personnages sont attachants et on rentre très vite dans cette histoire qui semble se passer au coin de la rue. » dit un de mes lecteurs en commentaire le 8 avril pour Crimes et faux semblants.

« Blum, sa famille, ses enfants, ses amis….on est dedans complètement. » dit cette autre lectrice le 9 avril pour Un Tango à Belleville.

Blum est un ancien flic reconverti dans le journalisme et l’écriture de romans policiers. Ce n’est ni un baroudeur, ni un être torturé et désabusé même s’il est habité par un certain pessimisme. Normal lorsqu’on est un ex de la Crim et qu’on a été confronté à tout ce que l’humanité peut avoir de plus laid.

Quelques jours après une soirée chez une amie à qui j’ai pratiquement volé le patronyme pour l’attribuer à mon héros, j’ai fait la connaissance de mon personnage qui s’est présenté à moi sans façon, au détour d’une nuit sans sommeil.

L’ai-je vraiment imaginé ? J’ai plus l’impression qu’il m’a invitée à le suivre dans ses déambulations dans les rues de Belleville. Je l’ai regardé céder à la tentation gourmande et je me suis attablée avec lui dans ses cantines, dans des bistros ou dans ces petits restaurants où l’on fait bombance pour pas cher, me délectant de ses airs coupables quand il avait l’estomac trop plein. Je me suis amusée de son gout immodéré pour les vêtements chics et les souliers de luxe. Je me suis faite discrète pendant ses têtes à têtes avec Mozart, Bach et les autres, manière pour cet irréductible incroyant de se confronter au Sacré. J’ai reconnu son histoire familiale qui a fait écho à la mienne et sa tendresse pour ses vieux parents est devenue mienne au fil des pages.

Je savais dès que j’ai commencé à écrire les premières lignes de mon premier roman policier, Il faut bien que la foudre tombe quelque part, qu’il n’y aurait pas de bains de sang, pas de détails horribles, pas d’outrance dans les descriptions macabres. Je ne chercherai pas non plus à coller de façon maniaque à la réalité policière. Mais il y aurait des mystères, du suspense, des émotions, de l’humour.

voir mon article sur le genre du Cosy murder: https://evelyne-judrin-auteure.fr/le-cosy-murder-un-genre-douillet/

J’ai voulu que Blum soit un ami chaleureux que l’on retrouve avec plaisir, qui vous tape sur l’épaule et vous entraine dans les méandres d’une enquête d’amateur, celui qui aime, qui déguste, qui savoure et qui finit toujours pas démêler les fils de l’intrigue.

Mais Blum ne serait pas Blum sans tous ceux qui l’entourent affectueusement et dont il sera sans doute question une autre fois.

Blum ressemble à tant d’autres personnages de roman. Il y a en lui sans doute un peu de tous les héros de polar qui m’accompagnent depuis toujours. J’avais écrit, il y a quelques temps, un article intitulé Le monde de Blum, dans lequel je parlais de mes inspirations.

Blum est un « tribute to », un hommage en bon français, à tous les polars que j’ai aimés, adorés, tous les enquêteurs que je connais intimement depuis tant d’années, les Adamsberg, les Bosch, les Maigret, les Dupin, les Rouletabille, les Erlendur, les Wallender et tant d’autres.

Le cosy murder, un genre douillet

Lire et écrire du cosy murder sans le savoir ?

 

Comment je suis tombée dans le chaudron du cosy murder.

 

François, Mick, Claude Annie et Dagobert, ça vous dit quelque chose ? Les plus mâtures d’entre vous, se souviendront sans doute du Club des cinq, cette série d’aventures et d’enquêtes écrite par Enid Blyton qui faisait le délice de nos après-midi sans écran. Heureux temps ? Sans doute ni meilleur ni pire. Juste un autre temps où la lecture était une des principales composantes de nos activités de loisirs. En suivant avec passion les aventures des quatre cousins et de leur chien, on était en train, pour certains d’entre nous et sans le savoir, de développer une addiction à un genre qui n’avait pas encore le nom qu’on lui donne aujourd’hui : le cosy mystery.

Ce n’était qu’un début.

Au sortir de l’enfance, parallèlement aux œuvres étudiées en classe, apparaissent au milieu des rayonnages de nos bibliothèques, les premiers Agatha Christie avec Hercule Poirot, Mrs Marple, et les romans d’un certain Charles Exbrayat avec son héroïne extravagante Imogène McCarthy. Mais plus qu’Imogène mes titres préférés de cet auteur étaient de loin Au trois cassoulets et Le clan Morambert pour leur atmosphère lourde et provinciale remplie de secrets.

Quantité d’auteurs et autrices sont les héritiers de ces traditions qui oscillent entre le roman d’intrigue sans description violente comme ceux d’Agatha Christie où les meurtres sont plus anecdotiques que décrits avec force détails macabres. Pas de bains de sang, de cadavres atrocement mutilés. On est à l’abri d’émotions trop fortes et on suit avec délice l’amateur astucieux et bien élevé qui va résoudre le mystère.

Puis vint Simenon et son personnage mythique : Jules Maigret. Je crois qu’à partir de ce moment, je suis définitivement tombée dans la marmite du polar mais pas de n’importe quel polar : le polar d’atmosphère, avec un personnage récurrent bien ancré dans le réel et dans son territoire, pour Maigret principalement Paris. Un personnage qu’on retrouve comme un vieil ami, avec ses défauts, ses travers, ses gouts et dégouts et autour de qui gravitent des personnages secondaires, indispensables au récit, des faire-valoir mais des faire-valoir de qualité qui donnent toute sa densité au personnage principal.

Bien que le roman policier ait été considéré comme un genre mineur, Simenon était déjà reconnu comme un écrivain qu’on pouvait lire sans rougir et je ne m’en suis pas privée.

Bien sûr, Simenon n’est pas le meilleur exemple d’auteur de cosy murder. Il a profondément rénové le genre policier en ne se contentant pas d’une simple intrigue autour d’un meurtre. L’importance donnée à la psychologie des personnages et à l’ancrage social est fondamental chez Simenon. Je ne m’y attarderai pas. Les nombreux exégètes de son œuvre se sont emparé du sujet et en ont parlé beaucoup mieux que je ne pourrais jamais le faire.

J’ai mis mes pas dans ceux de l’homme à la pipe, commissaire bourru, pudique, cérébral, et l’ai suivi dans les rues de la capitale au milieu des petites frappes, des vrais et faux caïds, des femmes de petite vertu comme il était coutume de désigner celles qui exercent le plus vieux métier du monde. J’ai dévoré par procuration quelques choucroutes agrémentées d’un demi lors de ses haltes gourmandes dans les restaurants habituellement fréquentés par le commissaire doté d’un solide appétit.

Plus tard, bien plus tard, j’ai découvert la série du Poulpe crée par Jean-Bernard Pouy un auteur libertaire qui invitera tous les auteurs qui le souhaitaient à s’emparer de son personnage et à écrire à leur tour une aventure du Poulpe à condition de respecter la bible qui servira d’ossature à tous les opus de la série.

Gabriel Letourneur dit le Poulpe en raison de ses bras démesurés a une petite amie Cheryl, une coiffeuse, qui n’a ni froid aux yeux ni la langue dans sa poche, et fréquente le restaurant Au pied de porc à la sainte Scolasse dont le patron Gérard, sert le midi des pieds de cochon tout en houspillant ses clients.

Et à partir de là, sans que je le sache, tout était en place pour qu’un jour, encore assez lointain, je me mette moi aussi à écrire des romans policiers.

Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. C’est une longue histoire que je ne raconterai pas ici. Mais quand le projet a été mûr, mon personnage s’est présenté à moi un beau matin – nom, prénom, qualité – sans qu’il soit besoin de chercher. À posteriori, je me rends compte à quel point mes lectures ont été nourrissantes et sont à la base de ce que j’écris aujourd’hui.

Ce que je dois à Simenon, c’est assurément un personnage d’enquêteur, L. Blum, bon vivant, il aime « la bonne bouffe et les fringues » et profondément attaché au quartier populaire de Belleville qu’il arpente quotidiennement et dont il connait la moindre impasse. Ce que je dois au cosy murder dont l’une des composantes essentielles est l’humour, c’est l’entourage de Blum, composé d’individus qui pour certains frisent le burlesque – un autre genre que j’affectionne en particulier au cinéma.

Ce qui, en toute modestie, rapprocherait Blum davantage d’un Maigret que d’un Hercule Poirot, c’est une certaine mélancolie et des déambulations nostalgiques dans un Paris qui ne ressemble plus vraiment au Paris de son enfance. Il m’est apparu comme essentiel que mon personnage ne soit pas lui-même un joyeux drille. Ses interrogations sur la vie, le poids de son histoire familiale traversée par les tragédies qui ont marqué le 20ème siècle, ses hésitations devant les grandes décisions qui engagent l’avenir, et enfin une oscillation entre épicurisme et désespoir tranquille en font un être torturé sans doute mais pas à la manière des enquêteurs d’un Jo Nesbo ou d’un Connelly. Il est comme nous tous, un être souffrant mais capable d’être touché parfois par des éclats de bonheur.

Purement cosy-murder, cosy-mystery ou cosy crime la série des Blum ?

De même qu’il est difficile de mettre Paris en bouteille, il est difficile pour un auteur de mettre son travail dans une case. Je sais seulement que mes romans ne sont pas des thrillers. Bien que j’adore en lire, je ne saurais pas en écrire. Pas de gore ni d’hyper violence dans le monde de Blum. Je reprendrais la formule que j’avais trouvée lorsque j’avais dû définir mes romans pour une interview : je crois que j’écris du tragi-cocasse. Tragique comme notre destin puisque rien ne peut nous sauver de notre humaine condition mais aussi cocasse car souvent la vie nous joue des tours pendables dont il vaut mieux rire que pleurer et Blum est entouré de clowns tristes dont l’humour est sans doute la marque d’une politesse désespérée.

Alors, mes romans, Cosy murder ou pas cosy murder ? Je serais bien incapable de répondre à cette question. Et après tout, est-il indispensable de toujours tout définir ? Comme beaucoup d’auteurs et autrices, je laisse mes personnages vivre leur vie et créer eux-mêmes le monde qui les entoure.