Lire et écrire du cosy murder sans le savoir ?
Comment je suis tombée dans le chaudron du cosy murder.
François, Mick, Claude Annie et Dagobert, ça vous dit quelque chose ? Les plus mâtures d’entre vous, se souviendront sans doute du Club des cinq, cette série d’aventures et d’enquêtes écrite par Enid Blyton qui faisait le délice de nos après-midi sans écran. Heureux temps ? Sans doute ni meilleur ni pire. Juste un autre temps où la lecture était une des principales composantes de nos activités de loisirs. En suivant avec passion les aventures des quatre cousins et de leur chien, on était en train, pour certains d’entre nous et sans le savoir, de développer une addiction à un genre qui n’avait pas encore le nom qu’on lui donne aujourd’hui : le cosy mystery.
Ce n’était qu’un début.
Au sortir de l’enfance, parallèlement aux œuvres étudiées en classe, apparaissent au milieu des rayonnages de nos bibliothèques, les premiers Agatha Christie avec Hercule Poirot, Mrs Marple, et les romans d’un certain Charles Exbrayat avec son héroïne extravagante Imogène McCarthy. Mais plus qu’Imogène mes titres préférés de cet auteur étaient de loin Au trois cassoulets et Le clan Morambert pour leur atmosphère lourde et provinciale remplie de secrets.
Quantité d’auteurs et autrices sont les héritiers de ces traditions qui oscillent entre le roman d’intrigue sans description violente comme ceux d’Agatha Christie où les meurtres sont plus anecdotiques que décrits avec force détails macabres. Pas de bains de sang, de cadavres atrocement mutilés. On est à l’abri d’émotions trop fortes et on suit avec délice l’amateur astucieux et bien élevé qui va résoudre le mystère.
Puis vint Simenon et son personnage mythique : Jules Maigret. Je crois qu’à partir de ce moment, je suis définitivement tombée dans la marmite du polar mais pas de n’importe quel polar : le polar d’atmosphère, avec un personnage récurrent bien ancré dans le réel et dans son territoire, pour Maigret principalement Paris. Un personnage qu’on retrouve comme un vieil ami, avec ses défauts, ses travers, ses gouts et dégouts et autour de qui gravitent des personnages secondaires, indispensables au récit, des faire-valoir mais des faire-valoir de qualité qui donnent toute sa densité au personnage principal.
Bien que le roman policier ait été considéré comme un genre mineur, Simenon était déjà reconnu comme un écrivain qu’on pouvait lire sans rougir et je ne m’en suis pas privée.
Bien sûr, Simenon n’est pas le meilleur exemple d’auteur de cosy murder. Il a profondément rénové le genre policier en ne se contentant pas d’une simple intrigue autour d’un meurtre. L’importance donnée à la psychologie des personnages et à l’ancrage social est fondamental chez Simenon. Je ne m’y attarderai pas. Les nombreux exégètes de son œuvre se sont emparé du sujet et en ont parlé beaucoup mieux que je ne pourrais jamais le faire.
J’ai mis mes pas dans ceux de l’homme à la pipe, commissaire bourru, pudique, cérébral, et l’ai suivi dans les rues de la capitale au milieu des petites frappes, des vrais et faux caïds, des femmes de petite vertu comme il était coutume de désigner celles qui exercent le plus vieux métier du monde. J’ai dévoré par procuration quelques choucroutes agrémentées d’un demi lors de ses haltes gourmandes dans les restaurants habituellement fréquentés par le commissaire doté d’un solide appétit.
Plus tard, bien plus tard, j’ai découvert la série du Poulpe crée par Jean-Bernard Pouy un auteur libertaire qui invitera tous les auteurs qui le souhaitaient à s’emparer de son personnage et à écrire à leur tour une aventure du Poulpe à condition de respecter la bible qui servira d’ossature à tous les opus de la série.
Gabriel Letourneur dit le Poulpe en raison de ses bras démesurés a une petite amie Cheryl, une coiffeuse, qui n’a ni froid aux yeux ni la langue dans sa poche, et fréquente le restaurant Au pied de porc à la sainte Scolasse dont le patron Gérard, sert le midi des pieds de cochon tout en houspillant ses clients.
Et à partir de là, sans que je le sache, tout était en place pour qu’un jour, encore assez lointain, je me mette moi aussi à écrire des romans policiers.
Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. C’est une longue histoire que je ne raconterai pas ici. Mais quand le projet a été mûr, mon personnage s’est présenté à moi un beau matin – nom, prénom, qualité – sans qu’il soit besoin de chercher. À posteriori, je me rends compte à quel point mes lectures ont été nourrissantes et sont à la base de ce que j’écris aujourd’hui.
Ce que je dois à Simenon, c’est assurément un personnage d’enquêteur, L. Blum, bon vivant, il aime « la bonne bouffe et les fringues » et profondément attaché au quartier populaire de Belleville qu’il arpente quotidiennement et dont il connait la moindre impasse. Ce que je dois au cosy murder dont l’une des composantes essentielles est l’humour, c’est l’entourage de Blum, composé d’individus qui pour certains frisent le burlesque – un autre genre que j’affectionne en particulier au cinéma.
Ce qui, en toute modestie, rapprocherait Blum davantage d’un Maigret que d’un Hercule Poirot, c’est une certaine mélancolie et des déambulations nostalgiques dans un Paris qui ne ressemble plus vraiment au Paris de son enfance. Il m’est apparu comme essentiel que mon personnage ne soit pas lui-même un joyeux drille. Ses interrogations sur la vie, le poids de son histoire familiale traversée par les tragédies qui ont marqué le 20ème siècle, ses hésitations devant les grandes décisions qui engagent l’avenir, et enfin une oscillation entre épicurisme et désespoir tranquille en font un être torturé sans doute mais pas à la manière des enquêteurs d’un Jo Nesbo ou d’un Connelly. Il est comme nous tous, un être souffrant mais capable d’être touché parfois par des éclats de bonheur.
Purement cosy-murder, cosy-mystery ou cosy crime la série des Blum ?
De même qu’il est difficile de mettre Paris en bouteille, il est difficile pour un auteur de mettre son travail dans une case. Je sais seulement que mes romans ne sont pas des thrillers. Bien que j’adore en lire, je ne saurais pas en écrire. Pas de gore ni d’hyper violence dans le monde de Blum. Je reprendrais la formule que j’avais trouvée lorsque j’avais dû définir mes romans pour une interview : je crois que j’écris du tragi-cocasse. Tragique comme notre destin puisque rien ne peut nous sauver de notre humaine condition mais aussi cocasse car souvent la vie nous joue des tours pendables dont il vaut mieux rire que pleurer et Blum est entouré de clowns tristes dont l’humour est sans doute la marque d’une politesse désespérée.
Alors, mes romans, Cosy murder ou pas cosy murder ? Je serais bien incapable de répondre à cette question. Et après tout, est-il indispensable de toujours tout définir ? Comme beaucoup d’auteurs et autrices, je laisse mes personnages vivre leur vie et créer eux-mêmes le monde qui les entoure.
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