L’inspiration

Partager l'article

J’avoue !

Oui j’avoue ! Je suis une voleuse, une prédatrice, une espionne, une chasseuse à l’affut. Ma curiosité est sans limite. Mes yeux sont des caméras cachées, mes oreilles des micros de haute précision. J’enregistre, je détaille, j’emmagasine et je thésaurise. Cela fait longtemps que j’ai compris le potentiel romanesque de chaque vie. Pas très original sans doute ! Flaubert n’a-t-il pas écrit Un cœur simple, l’histoire d’une pauvre fille de la campagne sans exaltation et sans passion à la vie terne et monotone.

J’ai besoin de savoir quel chemin de traverse ont emprunté les personnes dont je croise la route.

Alors que j’étais dans la plus profonde affliction,  assise à côté du conducteur du corbillard, je me suis mise à le questionner sur ce qui l’avait amené à exercer cette profession. Je suis sûre que là-haut, maman a bien ri du culot de son incorrigible fille.

Je ne compte plus les fois où même dans des situations impossibles, j’ai quasiment obligé l’infirmière le dépanneur, le serveur, le policier, l’élagueur, le chauffeur de taxi, à me détailler par le menu leur vie, leur œuvre et leurs projets d’avenir. Et ça marche! Ils pourraient se dire que je suis sacrément intrusive mais ils doivent sentir que mon intérêt n’est pas feint. Comme cette fois où après avoir mordu le terre-plein et tordu la roue de ma voiture, je savais tout au bout de quelques minutes, du parcours professionnel de ce dépanneur très étonné de s’être ainsi confié à une parfaite inconnue.

Les gens m’intéressent! Que voulez-vous! Je suis née comme ça. Peut-être est-ce une façon d’apprivoiser le monde.

Je suis également friande d’anecdotes, même si je demande toujours la permission d’utiliser tel souvenir cocasse ou tel récit d’un drame familial que l’on m’aurait raconté. Dans mes romans, il y a quelques personnages et quelques scènes que je dois à des amis qui m’ont autorisée à les utiliser tel ce pépère Léon de mon ami Guy. Un sacré coquin ! (le pépère pas mon ami.) et qui s’est retrouvé dans Sale temps pour les concierges, la deuxième enquête de L. Blum.

Il y a aussi des silhouettes à peine croisées qui vont aussitôt s’imposer et m’inspirer un personnage, tel ce couple de femmes  dansant le tango sur les quais de Seine ou cette femme âgée et son épagneul aux silhouettes parfaitement assorties, ou encore ce barbichu roux coiffé d’une casquette à la Sherlock Holmes qui est devenu le méchant d’un de mes romans.

Plus que l’imagination c’est l’observation qui nourrit mes histoires. Je regarde, je trie, j’accommode et à partir de ces éclats de vie, ma propre mosaïque  va prendre forme petit à petit. Peut-être parfois n’ai-je même pas conscience de la façon dont j’ai créé mon Golem, ce personnage de glaise de la mystique juive, créé pour défendre son créateur et dépourvu de libre arbitre.

Mais les personnages de roman sont-ils après tout vraiment dépourvus de libre arbitre ? J’ai quelques doutes à ce sujet, surtout lorsqu’ils viennent troubler mon sommeil pour me suggérer une suite  à leur histoire.

L’inspiration n’aurait-elle donc pas comme corollaire la possession? Il ne s’agirait pas de magie noire bien entendu mais d’une prise de pouvoir des personnages  qui s’inviteraient dans le cerveau de leur créateur pour s’inventer à leur tour.

L’inspiration est tout compte fait, une bien étrange chose!


Partager l'article

3 thoughts on “L’inspiration

  1. Marino says:

    Merci pour ce bel article qui m’éclaire sur mon propre fonctionnement 😉

    Répondre
  2. Lionel says:

    Une bien intéressante réflexion sur le processus et l’action de créer. À se demander si nous sommes créateurs ou instruments de l’absolue création…

    Répondre
  3. Anne-Marie Gorce says:

    Voilà une bien belle réflexion qui corrobore bien une discussion que j’ai eue avec les participants d’un atelier : « Où vas-tu chercher tout ça ?  » Dans la vraie vie avais-je répondu ! Certaines réalités dépassent ou nourrissent une bonne fiction.

    Répondre

Laisser un commentaire